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Le silence des dieux de Yahia Belaskri






Un roman qui décrit la bêtise et la violence des hommes avec une poésie et une finesse de la langue qui ne laisse pas indifférent.



Le silence des dieux

Yahia Belaskri

Éditions Zulma

Octobre 2021

224 pages



4e de couverture


Aux portes du désert, le village de la Source des Chèvres n'est relié à la route que par une piste de terre. Un matin, des soldats bloquent l'accès, et le village se retrouve isolé du monde. Entre le café et la mosquée, sur la petite place où résonne encore la voix du porteur d'eau et le passage des nomades, on cherche à comprendre, à désigner un coupable, pour s'en débarrasser comme d'une malédiction. Face aux luttes de pouvoir qui s'engagent, une voix s'élève. Celle de Ziani le Fou. Pieds nus, cheveux hirsutes, il clame ses prophéties mais reste celui dont on se moque et se méfie. D'où naîtra l'espoir ? D'où, sinon de celles qui œuvrent en silence contre l'oppression et la convoitise, contre l'obscurantisme et la résignation. Avec Zohra, Badra, Setti, Aicha et bientôt toutes les femmes, se lève le vent de la révolte. Inspiré d'un fait réel, Le Silence des dieux est une magnifique allégorie de la liberté et de la réconciliation, face à tous les enfermements.



Ce que j’en pense


« Le silence des dieux » de Yahia Belaskri, une sortie littéraire très récente (octobre 2021). Un grand MERCI à lecteurs.com qui m'a permis de découvrir ce roman.


Quel ode à la langue française ! Ce roman est magnifiquement écrit, ciselé, c'est comme lire un long poème. Merci M. Belaskri de m'avoir donné ce plaisir.


J'ai lu quelque part que le roman était une fable, oui, c'est vrai, le mot m'est venu en tête durant ma lecture ainsi que celui de conte.


En observateur, le lecteur voit ainsi tout au long du roman, les personnages réagir à une situation que l'on dirait aujourd'hui de crise. Un événement survient et tout dérape, les vrais visages se montrent au grand jour. Les sentiments s'exacerbent jusqu'au dénouement final et la conclusion, sorte de morale moderne.


Le mot que tu retiens entre tes lèvres est ton esclave, celui que tu prononce est ton maître, c'est ce que disait les anciens. Fais des mots justes tes maîtres, sois courageux, autrement tu n'es pas un homme libre. Faut-il être sur le point de perdre un être cher pour se rendre compte de la force du lien qui nous unit à lui ?

Au-delà de la poésie de l'écriture, c'est un roman dur et violent qui met en exergue la bêtise humaine, une image de l'expression "bête et méchant". C'est ainsi que j'ai vu une partie des hommes de ce village, une bande d'ignares avec la méchanceté et la couardise vissée au cœur.


Les femmes d'abord décrites comme soumises et assez idiotes elles aussi pour se laisser berner par un charlatan soi-disant saint homme. Mais elles finissent par reprendre la situation en mains à un moment de l'histoire. Comme si leur instinct de survie les réveillait d'une longue soumission, comme si tout à coup, elles mettaient enfin leur capacité de réflexion en œuvre, libérées du sort qui leur a été imposé.


Je ne peux que vous recommander ce très beau livre qui donne à réfléchir.


Yahia Belaskri est né à Oran (Algérie) en 1952. Après des ­études de sociologie, il est responsable des ressources humaines dans plusieurs entreprises algériennes puis se tourne vers le journalisme. Un an après les émeutes d’octobre 1988, il décide de s’installer en France.

Il est aussi journaliste à Radio France Internationale et nouvelliste, auteur d'une biographie et de plusieurs ouvrages dont certains ont été récompensés.

 

Interview de Yahia Belaskri par Christiane Chaulet Achour

8 octobre 2021



Sur la quatrième de couverture, il est précisé que Le Silence des dieux est « inspiré d’un fait réel ». Pouvez-vous évoquer, pour nous, ce fait réel ?

Yahia Belaskri : C’est un fait qui m’a été raconté qui aurait eu lieu dans un pays d’Amérique du Sud. Le chef d’un groupe armé, trahi par son lieutenant, a sanctionné le village dont ce dernier était originaire en l’enfermant. Encerclés, les villageois ont vécu de longues années en autarcie. Cette histoire m’a inspiré ce roman.


Votre roman est habité par des personnages emblématiques de la littérature africaine – maghrébine et sub-saharienne – comme le Fou, le Faune, l’Imam. Pouvez-vous nous en parler ?

Il me semble normal que je sois influencé par les écrivains africains qui m’ont précédé. Ces trois figures que vous citez sont emblématiques. Dans les sociétés dirigées par des régimes dictatoriaux ou autoritaires, le Fou est celui qui dit. Personne ne le prend au sérieux, par conséquent, il est libre de sa parole. De manière générale, le fou est celui qui est en marge des normes et donc rejeté parce qu’incohérent, sans rationalité. Dans mon roman, le Fou est celui qui dit, avertit, précède. Généralement c’est le poète qui a cette fonction ; la séparation est ténue, car tous deux sont des sentinelles au sens où l’employait Jean Sénac quand il parle de vigie. On a tendance à dire des poètes qu’ils sont maudits, que nenni. Sinon Georges Séféris, Titos Patrikios, Mohammed Dib, Kateb Yacine, Mohammed Khaïr Eddine sont maudits ? Le poète n’est pas maudit ni fou, il est dans la vie et son écriture est de convoquer l’absence.

Le Faune dans la mythologie romaine est un être fantastique qui a forme humaine avec une queue, de grandes oreilles et des cornes. Dans les Portes de l’enfer, le sculpteur Rodin place des faunes. Dans le roman, Abbas le Faune représente l’enfer ; d’ailleurs en arabe Abbas veut dire « le féroce ». Quant à l’imam, c’est un personnage incontournable dans la littérature puisqu’il est un des piliers des communautés musulmanes, un peu comme le curé dans la tradition catholique. Ici, l’imam est une personne âgée, un sage qui conduit la prière. Il ne s’immisce pas dans la vie de la communauté. Il s’avère qu’il est mystique et sa conception de la croyance religieuse n’est pas agressive, il est en un autre lieu, celui de l’élévation vers Dieu, se débarrasser des oripeaux sociaux pour accéder à une transcendance. Il ne ressemble pas aux imams radicaux et incultes qui fleurissent de nos jours.


Dans vos romans précédents déjà, mais dans celui-ci particulièrement, le texte est essaimé de poèmes. Six sont attribués à des poètes connus ; les 24 autres sont les vôtres. Quel est votre rapport à la poésie et à sa présence dans la prose romanesque ?

La poésie est la vie, me semble-t-il. N’est pas poète qui veut. Quand il est visionnaire chez Victor Hugo, il est voyant chez Rimbaud et vigie chez Sénac. La poésie est une façon d’être au monde et d’explorer son mystère. Le roman, pour Hubert Haddad, est la somme de tous les genres littéraires. J’aime la poésie en ce qu’elle s’exprime quand on ne plus parler dit Henri Meschonic. C’est de là qu’elle tire sa puissance. De ce fait, il est naturel pour moi d’avoir recours au poème. La plupart des poèmes qui figurent dans le roman sont écrits par moi. J’ai besoin d’éclairer le texte par des poèmes qui apportent une musicalité particulière.


Votre récit entretient-il consciemment une relation à l’épique ? Le choix du désert comme lieu de liberté et d’harmonie communautaire a-t-il favorisé ce rythme épique ?

Je crois sincèrement que le désert, ce lieu de liberté absolue, demandait une forme épique. Ce serait malhonnête de dire que j’ai choisi cela, c’est venu au fur et à mesure du déploiement du texte. Autrement cela n’aurait pas opéré.


Dans Le Livre d’Amray, vous ne nommiez pas l’Algérie : c’est la même chose ici mais les signes d’algérianité sont plus présents et évidents. En particulier les noms choisis, les descriptions des lieux que ce soit le village ou la ville…

Dans un seul de mes romans, Une longue nuit d’absence (2012), le pays était nommé. Parce que le personnage principal était un Républicain espagnol qui naviguait entre l’Andalousie et Oran. Il m’apparait, dans le cadre de mon travail d’écrivain, sur les thématiques qui achoppent, qu’il n’y a nulle nécessité d’ancrer l’histoire dans un territoire car il est question de la condition humaine. Dans le cas du Silence des dieux, c’est la même chose. Qu’importe le territoire du moment qu’il est question de faire face à la barbarie. J’aurai pu mettre François, Aline ou Carmen, aurait-on dit que c’est tel ou tel pays ? Il s’avère que je connais bien le désert, et le propos du texte appelait à être inscrit dans un tel territoire.


J’ai toujours été frappée par le rapport que vos récits entretiennent avec la nourriture. Quelle signification cela a-t-il ? Est-ce un rapport à l’enfance, une sorte de nostalgie ?

Sincèrement je ne m’en rendais pas compte. Peut-être effectivement un rapport à l’enfance, aux odeurs, saveurs et parfums qui m’ont façonné enfant. Il est vrai que je parle de plats particuliers, peut-être inconnus ailleurs et que j’adorais. Ce n’est pas la première fois que je parle de ce plat spécial appelé Rfiss qui a la particularité d’avoir été fait par mon père. C’est le seul plat qu’il n’ait jamais fait et j’en garde un souvenir ému.


Deux motifs me semblent importants dans votre imaginaire : le vent, le tissage (à travers ici le personnage de la tisseuse et son chant)…

Le vent est synonyme de liberté. Dans Le Livre d’Amray, je cite les différents noms qu’on lui donne en fonction de sa provenance et de sa force : chergui, al gharbi, simoun, sirocco, etc. Ailleurs, le vent porte d’autres noms ; en France, dans le Sud on l’appelle mistral quand il s’engouffre dans la vallée du Rhône ou tramontane quand il observe un couloir allant du massif central aux Pyrénées, mais c’est la même chose. Peut-être que les effets ne sont pas les mêmes. En tous cas, dans le désert le vent a des conséquences parfois dramatiques quand il déplace des dunes.

Quant au tissage c’est l’entremêlement, l’enlacement, les fils se croisent pour donner un tapis, une couverture, un produit (presque) fini. Le tissage est pour moi le croisement, alors je tisse inlassablement.


Ce roman répond-il à un souhait que vous avez exprimé dans des entretiens, travailler « sur la profondeur historique » de l’Algérie ? À vrai dire je ne sais pas. La profondeur historique est un élément important dans l’appréhension d’une culture, d’une civilisation. On ne peut parler des cinquante ou soixante dernières années de l’Algérie sans évoquer l’histoire longue, millénaire. De cette manière la perspective change. Mais ce n’est pas mon propos d’écrivain qui a pour matériau l’imaginaire. Si l’Algérie, son histoire, constituent une grande part de mon imaginaire, il n’en reste pas moins que je suis écrivain qui a pour obsession la condition humaine, les fragilités de l’être, son devenir.


Vous avez déclaré être « arrivé à la littérature par le décès de ma mère », pouvez-vous nous éclairer ?

Jeune, j’avais écrit quelques poèmes jamais publiés. J’ai écrit également des contributions dans la presse et des ouvrages collectifs. Je suis venu à la littérature après le décès de ma mère. C’est ainsi que j’ai commencé. Ma mère m’a donné la vie deux fois : ma naissance au monde et ma naissance en tant qu’écrivain.


Vous avez souvent déclaré que si le français n’était pas votre langue maternelle, c’était une langue première. L’expression est très intéressante pourriez-vous l’expliciter ? Comment se joue la complémentarité entre vos deux langues au moment de l’écriture ?

Mes parents parlaient l’arabe algérien, plus exactement oranais, c’est-à-dire mâtiné de quelques mots de français et surtout d’espagnol. Pour dire armoire nous disions « mario » soit « aramario » en espagnol. C’est dans cette langue que je suis né et qu’une part de mon imaginaire s’est constituée. Par je ne sais quel miracle, j’ai été en école maternelle et là c’est le français qui intervient. Ensuite, l’école primaire, le collège, le lycée et enfin l’université ont installé la langue française comme langue première, c’est-à-dire d’écriture et de compréhension du monde. Ce qui s’est ouvert à mes yeux d’enfant l’a été par l’entremise de la langue française. Je suis complètement incapable d’écrire en langue arabe. Même si depuis quelque temps j’essaie de traduire quelques bribes de mon travail d’écriture.


Le langage amoureux au sein du couple est silencieux. Pourquoi ? et comment l’attachement s’exprime-t-il ?

Le silence n’est pas une fin, il participe du langage. Mes personnages n’ont pas les mots. Ceux-ci sont l’apanage du poète et du fou. Je ne parle pas des mots pervertis des dirigeants politiques. Mais bien les paroles qui ouvrent et proposent des perspectives. Mon père me disait « chaque jour est une chanson », je n’avais pas compris son propos. C’est bien plus tard, bien après sa mort que j’ai saisi ce mot d’amour à mon égard. Il me transmettait une philosophie, une manière d’être au monde. C’était bien et bien parce qu’il m’aimait qu’il avait dit cela. Pourtant il n’a jamais dit « je t’aime ». Il a dit plus. Ce sont les rares mots qu’il avait tenus. Dans ces cultures qui cultivent la pudeur, l’amour s’exprime autrement, par des gestes, des regards, des sensations partagées, des fulgurances.


Il me semble que vous avez eu une expérience théâtrale et qu’elle se perçoit dans l’écriture du roman : surtout dans l’oralité où s’installe la voix narratrice.

Le théâtre a été une grande école pour moi. A la formation reçue au lycée par des professeurs de qualité, je pense à ma professeur de lettres Jacqueline Lloan, s’est ajouté la fréquentation des planches puisque j’étais comédien dans la compagnie Théâtre Group 70 fondée en 1970 avec Diden Oumer, Mustapha Mohammedi, Aïcha Ansar-Rachedi et bien d’autres amies et amis. Une expérience extraordinaire dans une Algérie bouillante malgré une dictature qui ne disait pas son nom. Si mon expérience théâtrale se retrouve dans mon écriture, j’en suis ravi. De toute façon je regarde les choses par le prisme de la scène.


Source : https://diacritik.com/2021/10/08/lepopee-dune-liberte-le-silence-des-dieux-de-yahia-belaskri/




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